L’américain Pfizer aura finalement jeté l’éponge dans son projet de rachat du groupe pharmaceutique anglo-suédois AstraZeneca, d’un montant de 117 milliards de dollars, record mondial dans le secteur, après s’être une nouvelle fois heurté au refus du groupe britannique. Son offre relevée a expiré le 26 mai à 17H00, heure de Londres.
Le géant américain aura pourtant relevé son offre à quatre reprises. Après avoir déjà été éconduit à deux reprises, une fois début janvier et une deuxième fois le 26 avril, Pfizer fera une troisième offre le 3 Mai dernier à 106 milliards de dollars, soit 39 % de plus que sa capitalisation de début d’année, qui sera également rejetée.
Le PDG de Pfizer Ian Read, un Ecossais d’origine, n’aura pourtant pas ménagé ses efforts pour cette quatrième tentative. Dans une lettre au Premier ministre David Cameron, il l’assurera de « l’engagement de long terme » du groupe à l’égard du Royaume-Uni, s’il rachetait AstraZeneca. L’américain promettra d’établir la résidence fiscale du nouvel ensemble et son siège européen au Royaume-Uni, d’achever la construction du nouveau siège et centre de recherche d’AstraZeneca à Cambridge et de maintenir sur le sol anglais au moins 20% des emplois de recherche et développement du groupe fusionné. Des engagements qu’il renouvellera devant les deux commissions parlementaires de Westminster qui l’auditionneront.
Rien n’y a fait. Les dirigeants du numéro deux britannique de la pharma sont restés inflexibles jusqu’au bout. Plusieurs raisons expliquent l’échec de cette OPA.
Les raisons de l’échec.
C’est en premier lieu l’absence de raisons stratégiques. De nombreux analystes se sont, en effet, demandé si les motivations de Pfizer n’étaient surtout pas fiscales, le groupe américain souhaitant avant tout éviter de rapatrier les 70 milliards de dollars de trésorerie qu’il dispose à l’étranger, sous peine de devoir payer une fortune au fisc américain.
Deuxième raison : les risques pour l’emploi. Il faut dire que Pfizer n’a pas bonne presse sur le terrain social. 52000 emplois ont été supprimés sur 4 ans depuis sa fusion avec Wyeth. En Grande-Bretagne sa décision de fermer le centre de R&D de Sandwich en 2012 ou a été mis au point le fameux Viagra, n’a pas été, non plus, de nature à lever les suspicions. Ian Read reconnaitra devant les parlementaires anglais que des suppressions d’emplois et une baisse du budget de recherche seront inévitables.
Toutes ces raisons expliquent la levée de boucliers en Grande-Bretagne contre le rachat d’Astra-Zeneca par Pfizer. Alors que le 10 Downing Street avait été séduit, dans un premier temps, par le transfert de la résidence fiscale de Pfizer en Grande-Bretagne, l’opération va susciter de nombreuses oppositions au nom du patriotisme économique. C’est l’opposition travailliste qui accusera le gouvernement de jouer les « pom pom girls » en soutenant l’accord. C’est ensuite la communauté scientifique britannique qui va se mobiliser contre l’accord. Plusieurs ministres suédois vont aussi enjoindre le laboratoire britannique dont les origines sont à moitié suédoises et dont 6.000 salariés se trouvent sur le territoire, à refuser l’OPA de l’Américain.
L’opération a été également loin de susciter l’enthousiasme outre-Atlantique ou de nombreux parlementaires ont dénoncé le transfert de la résidence fiscale au Royaume-Uni qui aurait permis à Pfizer une économie annuelle d’impôts de 1 à 2 milliards par an. Administration et Congrès, ont craint que cela ne donne des idées à d’autres groupes. Des laboratoires plus petits comme Perrigo, Allergan, Actavis ou Endo Health Solutions ont, en effet, déjà pris la direction de l’Irlande après un rapprochement avec un groupe local. La Maison Blanche souhaite bloquer cette pratique et projet de loi vient d’être déposé par le sénateur démocrate du Michigan Carl Levin. Les gouverneurs des Etats du Maryland et du Delaware ont également manifesté leurs inquiétudes sur le maintien des emplois Astra-Zeneca dans leurs Etats.
Vers une nouvelle OPA ?
L’annonce par le géant pharmaceutique américain lundi 26 mai de l’abandon de son projet d’offre de 117 milliards de dollars, marque-t-elle la fin de cette saga politico-financière ?
La réglementation britannique prévoit qu’AstraZeneca peut prendre l’initiative de relancer les discussions avec Pfizer après un délai de trois mois. Le fonds d’investissement Blackrock, premier actionnaire d’AstraZeneca, avec près de 8 % et deuxième actionnaire de l’américain aurait d’ores et déjà incité les dirigeants d’AstraZeneca à reprendre les discussions dès que la règlementation le permettra.
Les actionnaires d’AstraZeneca ne présentent pas un front uni et certains pourraient faire pression pour moins d’intransigeance. Si le troisième actionnaire du groupe avec 4,5% le français Axa Investment Managers et Schroders and Legal & General penchaient plutôt pour l’acceptation de l’offre d’autres comme Sweden’s Investor AB, Fidlity, Threedneedle, M&G et Neil Woodford ont soutenu le rejet de l’OPA.
« Le plus probable à mon avis est que la pression des actionnaires va pousser AstraZeneca à réengager des pourparlers avec Pfizer », a pronostiqué Mark Clark, analyste chez Deutsche Bank.
Il ne faut pas non plus oublier que le conseil d’administration d’AstraZeneca aurait été prêt à recommander une offre que si celle-ci avait été plus de 10% supérieure au montant de l’avant-dernière proposition formulée par Pfizer, qui était de 53,50 livres par action
En attendant, le Français Pascal Soriot, qui a pris les rênes d’AstraZeneca en octobre 2012, conserve l’espoir de poursuivre sa stratégie en toute indépendance. Il a déjà supprimé des milliers d’emplois et espère commercialiser une dizaine de nouveaux médicaments dans les prochaines années dont les prometteurs AZD9291 qui a obtenu le statut de « breakthrough therapy » aux US et le MEDI4736, dans le cancer du poumon, dont les données ont été présentées à l’American Society of Clinical Oncology 2014.
La direction et le conseil d’AstraZeneca, dont le cours de l’action a chuté de 10% après le retrait de l’OPA, vont devoir prouver qu’ils ont fait le bon choix et conforter les prévisions ultra- optimistes prévoyant une croissance de 75% des revenus annuels à horizon 2023.
Que va faire Pfizer ? Le fabricant du Viagra confronté à l’expiration de son exclusivité sur une série de médicaments vedettes et un pipeline peu performant, est un peu au pied du mur. Son chiffre d’affaires annuel devrait à nouveau baisser cette année pour se situer entre 49,2 milliards et 51,2 milliards de dollars, soit 10 milliards de moins qu’en 2011.
Il lui faut absolument trouver des relais de croissance. Le rachat d’un autre laboratoire américain semble exclu car il obligerait Pfizer à rapatrier se trésorerie et à payer des taxes aux Etats-Unis.
AstraZeneca reste une cible de choix. Pfizer attendra probablement 6 mois pour soumettre une éventuelle nouvelle proposition. Le temps presse avant que le congrès n’adopte une loi rendant difficile le transfert de siège d’une entreprise pour des raisons fiscales.